Stéphanie Lux – Trouble dans le genre

EN AVENT LA MUSIQUE

Trouble dans le genre 

M’avez-vous déjà vu quelque part ? Rafraîchissez-moi donc la mémoire…

Toi, tu me vois d’abord dans ce clip au début noir et blanc, 
où Étienne court dans les rues de New York en travelling, 
descend dans des clubs en perfecto sexy sans que tu comprennes 
tout à fait ce qu’il s’y passe. 
Et puis j’arrive : 

En studio sur fond rouge on chante, serrés l’un contre l’autre 
esthétique de l’époque, lui costard trop grand
moi cheveux raides dans le vent, ventilo dans les yeux.
Pour toi je suis un petit mec, un voyou à gueule d’ange, mélange de River Phoenix et futur Leo Titanic, objectivement irrésistible. 
On danse tous les deux je dompte ma guitare on rit je fais « hou » 
ma tête renversée au creux de son épaulette,
j’ai vingt-six ans, j’en fais dix-sept.

Tu ne vois rien, en tout cas tu ne cherches pas plus loin.
Puis c’est ton premier concert tu me vois sur scène un jour de semaine, 
le Galaxie d’Amnéville c’est pas Paris, mais ce soir Paris est Ailleurs
et on t’emmène. Demain au collège tu frimeras un peu t-shirt gris Étienne sur 
fond de timbres à l’effigie de la reine, en cours de musique, tiens, pourquoi pas. 

C’est lui que tu es venue voir, mais c’est moi que tu retiendras.
Je te vois tu sais, du coin de l’œil, tu connais toutes les paroles par cœur, tu hallucines d’être là, collée aux barrières de sécurité avec tes copines, à craquer sur le beau guitariste.

Je me doute que tu te trompes sur mon compte j’ai l’habitude,
je performe le trouble, le désir ambigu. 

Ton cœur s’ouvre tu chantes sans le savoir encore que
Quel que soit l’abandon, pourvu qu’il soit le bon.
Tu rêves d’écrire des chansons, de lui en écrire à lui, à jouer avec moi,
de cette liberté chère payée d’être en plein cœur de l’ivresse, au milieu du chaos

Je me dis que tu es comme lui, Étienne au féminin, eau qui dort, moins sage que tu en as l’air, 
à ressentir le temps de cette première fois une attraction désastre pour un musicien sur le côté de la scène, si près qu’il semble jouer rien que pour toi.  

Tu manques un peu d’imagination, tu vois ce que tu voulais voir,
tu as tout à désapprendre encore et ça va prendre un certain nombre d’années 
mais je vais t’aider à fissurer quelques certitudes.

Prépare-toi à applaudir quelqu’un d’autre que celui que tu vois. 

Le concert se termine, Étienne présente ses musiciens, tu vas enfin savoir comment je m’appelle. 
Tu as oublié le nom des autres, le mien tu ne risques pas.
Il tend la main vers moi et ton cerveau vole en éclats lorsqu’il t’assène de sa voix caressante : à la guitare, Édith Fambuena. 


Texte Stéphanie Lux
Réalisation de la vidéo David Le Guillermic
D’après Des attractions désastre, paroles et musique Étienne Daho (1991)

En Avent la Musique est un évènement proposé par le Réseau des Autrices.


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