EN AVENT LA MUSIQUE

Laure Zehnacker- L’aigle noir

La corporalité, une chorale défaite

Betty aussi était en mal d’amour. Parfois, elle rêvait de l’Amérique, d’autres fois, elle était à Londres. Mais ce devait être la première fois qu’elle se retrouvait à Paris au milieu de ses songes. Oui, elle rêvait Betty. 

Elle rêvait de ce bar aux teintures rouge d’une rue qu’elle n’avait prise. 

Et les mouchoirs sur la table du comptoir ressemblaient à des roses en pleins écrins. Un verre de plus. Le monde chancelait, il s’extasiait d’être si instable, vaporeux. Elle se tirait les pointes des cheveux. Elle était à Paris, elle ne savait pas comment elle avait atterri dans la ville. Elle s’était perdue dans la grande capitale inondée par la Seine. Encore une querelle de dame. Joe venait d’entrer dans le café bar. Ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait plus vu. Pourtant, c’était à lui qu’elle venait se confier. Il était la figure du vieil ami. 

Venant de nulle part surgit un aigle noir hurlait Barbara. Joe a tapoté l’épaule de Betty et ils sont sortis. 

Ils ont pris la ligne 4 et sont parvenus au-delà des marches du Sacré Cœur. Ils se sont posés près des caricaturistes et autres dessinateurs. Ils ont bifurqué rue Poulbot, ils sont tombés rue des Martyrs, ils ont déboulé sur les Grands Boulevards, prise de la Bastille, ils ont mangé des sushis. 

Et puis comme cent porches au galop, la Seine patina sur les avenues, se perdit dans les cafés, se prit pour du béton, du goudron mou sur la chaussée. Elle avalait Paris. Les gondoles de Venise débarquaient en renfort. Elles hurlaient Mille Mille ! Mille quoi rétorquait-on ? Mille euros. Des protestations roulaient sur l’eau « Laissons les gondoles à Venise »… un Marceau pirouettait sous son minuscule parapet multicolore, en friches épaisses, en éparses de jasmin. Ça sentait les fleurs, la pisse des métros, l’accordéon qui se brise… au fil de l’eau. Bientôt, il n’y aurait plus rien qu’un bassin. La flotte agrippait la patoche de Joe, elle avait envie de lui. Mais Betty a empoigné son ami et ils sont partis à pleine vitesse place de l’Opéra. On ne quitte pas la capitale sans avoir dit adieu à ce magnifique exemplaire de Garnier. Le fantôme avait perdu son masque dans la débandade, il délaissait le palais pour les sommets du Mont-Blanc. Les roucouleurs des bancs publics ont été D.E.G.U.S.T.E.S par la marée. Ça avait bon goût les amoureux qui se bécotent, la Seine s’est régalée. 

Betty et Joe décanillaient dans toute la capitale. Ils se sont stoppés net au Panthéon. C’était fini, le déluge les contemplait attendri. Place des Grands Hommes, meurtrie. 

Au tour des Grandes Dames de refaire Paris. 


Chanson originale de Barbara (1970)
Texte et vidéo de Laure Zehnacker

Musique de générique “We wish you a merry christmas” de Twin Musicom fait l’objet d’une licence CCA 4.0.

En Avent la Musique est un évènement proposé par le Réseau des Autrices.

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