Julie Degaumin
j’ai cinq, six ans
c’est le soir et j’ai froid
on m’a envoyée me doucher
ton père sera bientôt là
on c’est Jocelyne
Jocelyne c’est la voisine
elle est venue me chercher à l’école
m’a fait m’asseoir sur son canapé
le chien allongé à mes pieds
surveillance rapprochée
puis elle a dit va te doucher
ton père sera bientôt là.
j’enfile lentement mon pyjama
lentement
l’oreille tendue vers la porte
ça toque
enfin mon Géant tu es là
oui !
ma voix se brise
mon visage se fissure
ton large pouce essuie mes joues
d’une main tu me maintiens debout
quand j’aimerais tomber à genoux
je peux rentrer avec toi ?
papa je peux rentrer avec toi ?
papa
dors bien mon chat.
t’en souviens-tu papa ?
t’en souviens-tu de ces soirs-là ?
tu rentrais
seul
chaque fois
m’abandonnais chaque fois
pieds nus sur le carrelage froid
visqueuse et moite
tremblante dans mon pyjama.
c’était la chose à faire
évidente
temporaire
solution
maman au chevet de
moi seul à la maison
je partais tôt
rentrais tard
comment aurais-je pu croire
aurais-je pu savoir ?
il suffisait de voir, papa
il suffisait de voir.