Sur une invitation d’Olivier Lamm pour la newsletter culture de Libération, Marie-Pierre Bonniol du Réseau des Autrices nous dresse un portrait sans concession des conséquences de la crise sanitaire en France et en Allemagne pour les artistes. Dont acte.

Installée à Berlin depuis plusieurs années, Marie-Pierre Bonniol fait partie de ces activistes qui font du bien aux cultures indépendantes. Artiste, curatrice et productrice, elle co-dirige l’agence Julie Tippex, et le festival BBmix, qui se tient chaque automne à Boulogne-Billancourt… Et qui a dû annuler sa tenue, pour la première fois depuis seize ans, à cause de la pandémie.

«Le sentiment ici est étrange, après l’annulation du Festival BBmix que nous avons dû programmer trois fois cette année et tortiller dans tous les sens pour le rendre possible. Pendant le premier confinement, mon énergie était haute: s’il était clair que les activités de tournées, de production, allaient baisser, j’en ai profité pour développer de nouveaux projets, des programmes de films expérimentaux pour enfants, un autre de création pour les femmes autrices. Mais l’automne nous rattrape, en France comme à Berlin où je vis, et même les projets les plus expérimentaux sur lesquels j’ai pu travailler toute l’année perdent une partie de leur souffle sans leurs manifestations physiques, qui sont celles, véritablement, qui constituent et rapprochent les communautés. L’énergie du momentum est diluée, pour ne pas dire inexistante, et me manque à mort! Car c’est elle, finalement, qui tient tout l’ensemble, tout le tissage humain qui se retrouve dans une salle de cinéma, une salle de concert, une discussion autour de choses lues, vues et aimées, et qui donne l’énergie et la valeur de tous les efforts. Cette semaine, je crois que j’accepte mon désespoir en fait, aussi comme une manière de toucher le fond, en coupant les efforts sur les projets dont le cadre de travail s’est écroulé, pour repartir, je l’espère, sur des choses encore plus innovantes! Mais quelle drôle d’année, quand même, à travailler gratuitement quasiment de bout en bout, pour tenir un monde qui ne peut plus trouver place, ou vraiment dans les interstices ou par des biais. La période oblige à de la créativité, à travailler par d’autres angles, avec d’autres perspectives, mais la créativité demande de l’énergie. L’incapacité de nous projeter, de nous retrouver, d’être payé pour la majeure partie du travail que nous pouvons faire nous en enlève beaucoup. Mais ma croyance, elle, n’est pas près de s’effondrer.»

Photo: Marcelo Huici, courtoisie de la Biblioteca nacional Mariano Moreno.