Lorenz Just
Lieber Vater, ou cher père, bien que je ne t’appelle jamais ainsi, tout au plus papa, une fois par an ; pour t’embêter, parfois, je te nomme petit papa ou même Vatti. Je ne t’ai jamais appelé autrement, jamais de Daddy, de Vati, de Baba ou même de Paps. En réalité, je préfère le terme Papy, que je prononce quelques fois pour là encore t’embêter un peu, ou plutôt pour te charrier, car il te renvoie mieux à toi-même : Opi. En fait, tu es un peu les deux. C’est dans les froides nuits d’hiver, quand tu es allongé sur le canapé, que je t’appelle papounet. Ensuite, tu bondis et insistes lourdement en me demandant ce que j’ai déjà accompli aujourd’hui ? Pour dire vrai, je t’appelle par ton nom. Je n’ai pas de père, j’ai un Thomas, un Bernd, un Frank, un Christian, un Albrecht, un Franz, un Clemens. Ou quel qu’il soit ce nom. Au moins, ce sont des noms probables de père pour quelqu’un comme moi. Cher Père, pourrais-je aussi dire. Why not ? Pendant dix ans, tu as essayé d’apprendre le français, puis pendant dix ans l’anglais. Des deux langages, tu n’en parles aucun. Mais tu prétends les connaître. Parfois, je t’appelle « mon vieux » et je te donne une tape amicale dans le dos. « Je n’ai pas eu de vrai père », dis-tu, « et c’est pourquoi tu n’en as pas non plus, mais au moins tu m’as, moi. » Cher père, tu tiens ton nom d’un saint et ça ne fait pas de toi un saint. Quand tu t’allonges sur le canapé, je me vois moi et la peur de l’avenir s’évanouit soudain.
Traduit de l’allemand par Laure Zehnacker