Kerstin Campbell
Cher père,
toi qui dis n’avoir jamais lu de livre, tu m’as insufflé le goût de la liberté à travers les histoires que tu me racontais le soir. Grandis, passe ton bac, et ne deviens pas comme moi un travailleur aliéné. Chaque livre que je lisais, chaque texte que je traduisais du latin nous éloignait, et notre incompréhension mutuelle grandissait. Je me suis échappée vers un autre monde, te laissant seul dans le tien. La liberté que tu avais imaginée pour moi, vêtue de blazers et arborant des symboles de pouvoir, est bien loin de la vie que je mène à présent. Je me tais quand je viens chez toi, c’est toi qui donnes le ton. C’est comme ça dans ta maison. Dans ce monde que j’ai laissé derrière moi, mes pensées ne trouvent pas d’écho. Et je dois retourner dans mon monde au bout de quelques jours, car nous n’arrivons pas à trouver de langage commun, car l’incompréhension est trop grande, je ne corresponds pas à l’image que tu as de la femme. Le lien qui nous unit est tendu et menace de se rompre lorsque nous sommes ensemble, et pourtant, au fond, il y a un fil qui relie nos cœurs, incassable et résistant à tout. Tu dis que tu as lu le début de mon livre et le milieu, et que c’est déjà quelque chose. Je te suis reconnaissante de m’avoir toujours soutenue, même si la jungle de mon esprit t’est profondément étrangère.
Traduction de Marylise Dumont