Marylise Dumont
Cher Papa,
Quand je pense à toi, je sens encore la petite fille en moi. Je la revois, dans les lieux de mon enfance, ici et là, pleine du désir de se rapprocher de toi.
Un homme de peu de mots. Des chiffres et des citations, des faits, des jeux de mots.
Fort. Impénétrable. Stable. Sérieux. Travailleur. Compétitif. Doué. Réussite scolaire. Élite. Diplômes. Institution. Tests. Mémoire d’éléphant.
À peine as-tu succombé au chagrin dans ta vie.
Pas même lorsque ceux qui se roulent dans l’ambroisie, là-haut, t’ont pris ta femme, tout à coup.
Notre maman.
Tu as fait de ton mieux pour nous protéger de la douleur.
Tu as aimé et épousé une nouvelle femme.
Pas même lorsque tes plaquettes ont chuté, du jour au lendemain, alors que tu étais allongé sur un lit d’hôpital, couvert de bleus, et qu’ils perforaient ta moelle osseuse.
Pa. Pa. Tu as failli mourir deux fois.
Tu t’es relevé.
Tu es retourné au travail la tête rasée, et tu as trimé comme si rien ne s’était passé.
On aura tout le temps de se reposer quand on sera morts, tu dis souvent. Mémoire d’éléphant. Tes sentiments sont stockés quelque part, au fond de tes ténèbres. Ou peut-être ont-ils été broyés.